Au carrefour du conte, de la légende et de la fable, ce texte m'a été inspiré par un ami sincère, un frère de coeur, qui fait ce qu'il faut pour se sortir de ses blessures de vie.
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La femelle Labrador du voisin d’en face de chez Plume d’Aigle a mis bas d'une portée de neuf chiots sous la galerie. Comme elle n’a que huit tétines, répondant à un réflex naturel, elle choisit le noir, celui qui lui semble le plus faible, et elle le met à l’écart. Heureusement pour lui, sans une intervention humaine qui lui a assuré une place au biberon maternel en alternant le boire de l’un et de l’autre, il n’aurait guère survécu plus de quelques heures.
Lui-même en manque de mère depuis toujours, Plume d’Aigle est chagriné que malgré les efforts, la Labrador ne semble pas vouloir changer d’idée sur ce petit mâle qu’elle a rejeté. « Comment une mère peut-elle ainsi rejeté un de ses enfants ? » se demande-il.
Ne demandant que le minimum pour survivre, plus il est mis de côté plus il s’accroche dans l’espoir d’avoir de sa mère, écoute, présence et soutien. Rien n’y fait, plus il se rapproche plus il est repoussé. Coupable de rien sinon de vivre et de chercher un peu d’attention et d’amour, à mesure que les semaines passent, sa détermination dérange et est rapidement prise pour un désaveu de l’autorité et un manque de respect, ce qui pousse la mère à encore plus de rejet, de déni et de violence alors que ses frères et soeurs ne ménagent aucun efforts pour le briser, lui faire violence et pour le mettre à l’écart définitivement, convaincus que leur complicité va leur assurer une plus grande ration et la reconnaissance qui leur semble chose acquise et due.
Après le sevrage du lait maternel, la moulée et les restes de table pleuvent pour la portée, tous ont leur part sauf pour le rejet qui n’a plus que la peau sur les os. Malgré tout, Plume d’Aigle hésite encore à intervenir.
S’éloignant des autres, au fond d’un terrain d’un voisin, à demi-enterré dans la terre noire du jardin, le chiot trouve un os couvert en partie de viande putride. Convaincu qu’il y a là toute la marque d’affection nécessaire pour attendrir le coeur de sa mère et s’attirer les faveurs familiales, le voilà qui traine l’os jusqu’aux pieds de sa mère qui réagit contrairement à ce qu’il attend.
Pourquoi m’amènes-tu un os pourri ? Veux-tu me tuer ?
Non maman, je sais que tu aimes les os, alors c’est un cadeau pour toi ?
Un cadeau ? Tu appelles ça un cadeau ? Que veux-tu que je fasse avec ça ?
C’est pour te montrer mon amour, maman.
Ton amour ? Ton amour ? J’ai vraiment bien fait de te chasser.
Assis sur le bout de sa propre maison, Plume d’Aigle voit et entend sans comprendre, il sent que quelque chose ne va pas. Quelques secondes plus tard, devant la portée silencieuse, voilà que la Labrador transporte le chiot au bord du chemin et lui montre les dents de manière menaçante, puis, sans tarder, elle se débarrasse de l’os en le déposant loin derrière la maison, là où il aura beau pourrir.
Traversant la rue au pas de course, Plume d’Aigle s’empare du chiot et se dirige chez son voisin pour discuter de la situation. Dérangé, il coupe court à la discussion en levant le ton comme à son habitude.
Tu le veux ? Il est à toi. Qui veut d’un rejet ? Pas moi en tout cas.
Plume d’Aigle ne peut s’empêcher de penser à tous ces jeunes garçons et filles dont on lui a parlé et qui ont rejetés, humiliés, violentés, abandonnés et trahis. Il ne comprend pas comment cela est possible, mais il sait que la bêtise humaine est sans limite, surtout lorsqu’on suit de manière aveugle et sans discernement les dogmes imposés. Il sait très bien aussi qu’il n’y a pas qu’un seul modèle d’être un homme, une femme, un enfant, pourtant il semble bien que tous ne l’ont pas compris.
De retour chez lui, son chiot noir comme la nuit dans les bras, il enfonce son nez dans son pelage pour le sentir. Plume d'Aigle sait très bien qu’il est le premier humain à le prendre à bras le corps, alors à plusieurs reprises il lui souffle son haleine dans les narines pour que son odeur s’imprègne à jamais dans les mémoires de son chien.
D’une main, saisissant une pincée de tabac sacré dans un sac en cuir accroché au coin de la remise et de l’autre son chiot, il dépose un genoux par terre et offre à Terre-Mère une offrande modeste et une prière de remerciement pour lui avoir procuré ce dont il a toujours eu besoin, un ami qui marchera avec lui sur le long chemin de la vie. Les yeux dans les yeux, il lui parle : « Atim. Tu t’appelles Atim. Puisses l’Esprit qui gouverne toute chose te rendre ce qui t’a été enlevé et te conduire là où tu dois aller. Puisses-tu trouver la paix et l’amour, désormais ma maison est ta maison. »
Comme si la sagesse avait fait son nid en son âme depuis toujours, Plume d’Aigle sait d’instinct que le bonheur et la paix intérieure sont faites de petites choses, et que les plus grands châteaux ont commencé par n’être qu’une pierre. Pour lui, demain sera meilleur à deux. Le reste viendra en son temps car l’Esprit veille.
Ce que la vie prend, elle le redonne
à qui accueille, accepte et pardonne.
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Pierre Simard,
Médium - Chaman - Sage,
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Terminé d’écrire le 11 mai 2021
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