Ce texte est au carrefour du conte, de la légende et de la fable, il a été inspiré par mon amour du tambour chamanique de type amérindien.
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À cheval entre la modernité et le besoin de reconnexion avec sa tradition trop souvent mise à mal, même si personne de la communauté n’était soumis aux règles et règlements de la chasse, lorsque l’appel intérieur du tambour se fit sentir de manière évidente et pressante, avant d’entreprendre quelque démarche que ce soit, Plume d’Aigle alla consulter Corbeau Rouge, un Ancien qui d’emblée lui lança quelques questions.
Pourquoi veux-tu un tambour ? lui demanda le vieil homme dont les longs cheveux blancs étaient tressés derrière sa tête.
Je ne veux pas acheter un tambour. Ce que je veux c’est répondre correctement à l’appel que je ressens de fabriquer mon propre tambour.
Qu’attends-tu de moi Plume d’Aigle ?
Que tu m’enseignes la manière traditionnelle et le pourquoi de chaque geste.
Les temps ont changé depuis que les Anciens ont cessé de transmettre à la présente génération ce que tu cherches. Tu peux te procurer un tambour facilement dans de nombreux commerces ou auprès d’un artisan.
Je sais tout ça. Le tambour que j’entends intérieurement n’est pas quelque chose qui s’achète, je dois lui donner vie de mes mains. Il m’appelle, je le sens, je le sais.
Je pourrais éventuellement répondre à ta demande, par contre cela exigera de toi un sérieux engagement de temps et d’efforts physiques.
Ce qu’il faut faire, je le ferai. Il y a en moi un Esprit qui m’appelle. Un Esprit qui m’habite. Un Esprit qui cherche à me dire quelque chose. Enseigne-moi, j’apprendrai. Montre-moi, je ferai.
Donne-moi du temps et je te reviendrai avec ma réponse.
Un peu de temps passa, le temps nécessaire pour que Corbeau Rouge consulte chacun des autres Anciens de la communauté. Pour éviter de donner une réponse précipitée et qu’une voix s’élève plus forte que les autres, ils prirent le temps d’allumer un feu, de se fumiger, de s’assoir en rond et de faire circuler le bâton de parole. Décision fut prise d’offrir à tous les jeunes hommes de la communauté intéressés par la fabrication de leur propre tambour de participer à cette quête spirituelle.
En plus de Plume d’Aigle, cinq jeunes hommes répondirent à l’appel. Chacun fut invité à se connecter avec un Ancien qui lui servirait de mentor pour ce long apprentissage qui débuterait par une purification personnelle dans une hutte de sudation ouverte. Après la délimitation d’une zone sacrée, le transport d’une corde de bois sec et le ramassage des vingt-huit pierres requises pour la construction et l’allumage du feu sacré qui transformera l’esprit des pierres en l’esprit des grands-pères, la cueillette de trente-cinq petits arbres nécessaires à l’érection et l’habillage de la hutte dont chacun des seize piliers symbolisera l’esprit d’un animal différent, l’appel des directions et des énergies, l’invocation des esprits des ancêtres, les enseignements de sagesse et les bénédictions, chacun, aligné avec les bonnes énergies et accompagné de son mentor, partit à la chasse pour cueillir le cadeau que Terre-Mère lui avait préparé, ours noir, chevreuil ou cerf rouge en ne manquant pas de la remercier par une offrande de tabac.
Longtemps après, Plume d’Aigle et ses amis apprirent l’art traditionnel de la préparation des peaux qui commença par une période de remerciements et de bénédictions, puis vint le temps du dépeçage, du trempage, du dégraissage et du premier séchage sur un grand cercle constitué de branches enroulées.
Averti longtemps d’avance de leur visite, Loup Courageux, le tisseur de raquettes avait préparé pour chacun une planchette de frêne qui leur fut attribuée par ordre d’âge. Il ne leur resta plus qu’à les enrouler de la dimension désirée et les attacher aux extrémités pour en faire des cercles de bois sur lesquels les peaux seront tendues après avoir été prétaillées et percées pour recevoir les cordes de babiche taillées à même la peau de chacun des tambours.
Alors que Plume d’Aigle fit tremper le cuir de chevreuil de son tambour dans une décoction de brou de noix durant trois heures pour lui donner une teinte chocolaté, ses cinq amis tissèrent leur tambour avec un cuir naturel ce qui permettra de mieux distinguer les dessins qui ne manqueront certainement pas d’apparaitre à mesure que la peau va sécher et vieillir.
Après avoir appris de Corbeau Rouge que symboliquement le tambour représente l’énergie féminine et le maillet l’énergie masculine, ils reçurent comme consigne de se laisser guider par leur instinct pour trouver la branche destinée à devenir le manche du maillet de leur tambour, chacun étant libre de le décorer à son gout en y ajoutant ou pas, lacets de cuir, plumes, billes, griffes d’ours ou tout objet relié à sa propre masculinité.
Mis à sécher durant le temps d’une lune, les tambours furent bénis, nommés et sacralisés par l’ajout d’un petit sac en cuir rouge dans lequel seront déposés deux petites pierres, une noire et une blanche, de la sauge blanche, du foin d’odeur, du cèdre et du tabac. Ce faisant chaque tambour devint sacré. Réservé exclusivement à son porteur, plus personne n’aura l’autorisation d’y toucher ou d’en jouer.
Après la sacralisation, devant toute la communauté réunie pour le rare évènement,, Corbeau Rouge fit un pas en avant et leur fit individuellement et collectivement un dernier enseignement.
Le "porteur de tambour" n'est pas le propriétaire de son tambour, il en est le gardien, il en a la responsabilité. Chaque tambour est unique, il est le juste équilibre du féminin et du masculin, de l’enfant ainsi que de la force et de la sagesse de celui qui l’a tissé. Il a sa propre énergie, des vibrations uniques et une histoire qui lui est propre.
À chaque pas que tu feras vers ton tambour, il en fera un vers toi. C’est à toi de l’apprivoiser et de te laisser apprivoiser. Jour après jour, sa vibration se fera plus familière, plus intime jusqu’à devenir ton confident et ton ami fidèle.
Lorsqu’il connaîtra chacune de tes vibrations, de tes pensées et de tes émotions, un jour, il pourra répondre aux questions qui se formeront dans ton esprit et ce sera aussi parce qu'il aura appris à lire en toi qu'il servira de canal et qu’il te donnera accès aux secrets invisibles et insondables de l’Univers.
Ne suspend pas ton tambour au mur comme un trophée ou une décoration, il est vivant, il a une âme qui lui est propre et une mission de vie.
Traite-le en ami et respecte-le, il te le rendra.
Suivant les rythmes proposés par les Anciens, pour en célébrer la naissance, le chant sacré des six tambours se fit entendre, un chant qui fut bientôt rejoint par ceux de tous les autres porteurs de tambours de la communauté.
Même si la tradition est la gardienne du sens,
de la méthode et de la connaissance,
c’est parce qu’il est outil de puissance,
que le tambour a besoin de son indépendance
pour que la terre vibre en pleine conscience
que l’Esprit est plus grand que les cinq sens.
Pour que vive l’amour,
chacun à son tambour !
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Pierre Simard
Tous les droits d'auteurs sont réservés pour tous les pays.
Terminée d'écrire le 19 avril 2021
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